Troubles du comportement alimentaire et art-thérapie / conférence
Conférence Castelvielle, le 23 Septembre 2017
"L'ART-THÉRAPIE PERMET-ELLE DE NUANCER LA CATÉGORIE GLOBALE DES TROUBLES DU COMPORTEMENT ALIMENTAIRE ?"
Bonjour à tous
Je m'appelle Michel Briat, j'exerce le métier d' art-thérapeute.
Je suis également psychologue clinicien et artiste.
"L'art-thérapie permet-elle de nuancer la catégorie globale des troubles du
comportement alimentaire ?"
C'est la question que je me propose d'examiner avec vous ce matin.
Ce questionnement est né des observations que j'ai pu faire lors des ateliers de peinture avec des patientes anorexiques et boulimiques qu'on désigne souvent sous le nom de TCA.
Acronyme qui est entrain de devenir une catégorie nosographique, à part entière, effaçant les différentes nuances de la pathologie.
L'idée de l'exposé est de mettre en rapport nosographie et iconographie.
Je prends iconographie dans un sens large.
Il s'agit d'envisager les images suivant leur formes, leurs sujets, leurs techniques et nous examinerons aussi les attitudes psychiques et physiques du patient face à ses créations.
Je vais vous livrer dans un premier temps des observations sur les productions plastiques ( essentiellement peinture et dessin ) puis je vais essayer de voir comment faire un lien entre ces catégories plastiques ou esthétiques et les différentes formes de troubles du comportement alimentaire et enfin envisager quels enseignements peut en tirer l'art-thérapeute dans la conduite de son atelier.
Examinons tout d'abord
LE SUJET DES ŒUVRES
le corps tout d'abord ;
Le corps est très souvent représenté, dessiné découpé ou peint. Il peut s'agir d'empreintes de parties du corps de la patiente. Les mains le plus souvent, et parfois pieds.
Le corps représenté est le corps anorexique sous ses différentes formes : le corps écorché ou anatomique, le corps angélique, le corps mort , pour reprendre quelques catégories de Marinov.
Mais en plus du symbole de la maladie ce corps anorexique est aussi symbole d'un cosmos culturel social, esthétique, spirituel.
On pourrait en reprenant l'expression d'Erwin Panofsky de parler du corps comme 'forme symbolique'.
C'est à dire une forme qui synthétise les aspirations techniques sociales et spirituelles d'une époque.
Pour citer Panofsky une forme symbolique c'est
“un contenu signifiant d’ordre intelligible (qui) s’attache à un signe concret d’ordre sensible pour s’identifier profondément à lui”
Les représentations du corps pourraient comme la perspective ne pas relever de simples considérations techniques ( connaissance de l'anatomie du fonctionnement du corps humain ) mais d'une philosophie de l'homme et du rapport entre le sujet et le monde.
On pourrait ainsi parler d'un corps maniériste ou baroque, d'un corps renaissant, d'un corps médiéval etc...
Le corps anorexique serait selon mon hypothèse la forme symbolique de notre époque.
examinons maintenant
la figure ;
La figure est un corps habillé ou suggéré. Elle est le support d'une narration énigmatique ; qu'il s’agisse d'un personnage humain ou non (animal robot, machine), la figure joue un rôle dans une histoire.
Parmi ces figures citons
les monstres
Je différencierai trois types de monstres .
Le monstre effrayant , cauchemardesque comme le vampire , le zombie, le loup garou, le monstre organe,
le monstre bouffon , figures carnavalesques qui suscitent plus l'ironie que l'effroi.
Et enfin l'alien
En ce qui concerne l'alien je voudrais évoquer brièvement le livre de Chris Kraus 'Aliens and Anorexia' qui fait le rapprochement entre ces deux catégories celle de l’anorexique et de l'extra terrestre, réactualisant à mon avis la figure l'anorexique sainte en substituant l'alien à la sainte.
Voyons maintenant, les peintures abstraites
Ces peintures ont en commun la dépense de matière parfois accompagnée d'une dépense d'énergie.
Enfin pour terminer examinons brièvement
l’utilisation du langage dans les peintures
On peut tenter d'organiser les différentes utilisations du langage suivant un gradiant de style
qui va du langage descriptif, généralement une description de la maladie à un langage agressif .
En passant par les catégories de l'humour et de l'ironie.
Envisageons maintenant
LES ATTITUDES PENDANT LA CRÉATION DES PEINTURES.
Tout d'abord
Les 'attitudes' pendant la séance
-Les attitudes de maîtrise :
La patiente fait montre d'une maîtrise technique, généralement au travers la copie d'oeuvres existantes. Souvent debout face à son travail, ou penchée au dessus.
La station debout peut s'expliquer bien sûr par la volonté de dépense calorique mais elle peut aussi s’interpréter par un soucis de mise à distance ou de maîtrise.
Quand par manque d'apprentissage technique, le résultat n'est pas jugé satisfaisant (gouache ou acrylique) les patientes peuvent se tourner vers le collage et découper des images ( généralement des photos de top modèles féminins)
-Les attitudes de dépense ou consommation d’énergie et de matière, dans un temps bref. L'oeuvre est créée par déversement, touillage, tout cela est fait rapidement et en série. Souvent des parties du corps sont utilisées, comme outil ; mains pieds ?
La patiente est parfois couverte de peinture .
-Les attitudes de retrait de timidité. Ou de suspend . La patiente reste comme absente devant sa feuille blanche.
Passons maintenant au rapport avec
l'oeuvre terminée.
Le travail peut être exposé au vu et au su de tous.
Une patiente me demande si son œuvre peut être accrochée de manière permanente dans l'atelier.
A l(inverse Le travail peut être abandonné ou détruit ou même caché.
le rapport au groupe
Parmi les patientes incluses dans le groupe les attitudes oscillent entre mimétisme, rivalité, lutte pour le leadership. Certaines échouant à s'imposer comme leader créent un sous groupe concurrent.
D'autres en revanche se situent délibérément (ou non) à l'écart de ces effets groupaux.
Apres cette rapide typologies des fomes et des attitudes , voyons
QUELS LIENS PEUT ON FAIRE ENTRE CES CONSIDÉRATIONS ICONOPHIQUES ET LES DIFFÉRENTS TROUBLES DU COMPORTEMENT ALIMENTAIRE ?
Je vous présente un premier tableau qui fait la synthèse de tout ce que j'ai pu vous dire
jusqu'à présent puis un autre classé par type de TCA à savoir :
A : pour anorexique restrictive sans phase de boulimie
AB : pour les patients qui alternent anorexie et boulimie
B : pour les boulimiques qui n'ont pas connu de pertes de poids inquiétantes
Ce sont les catégories qui me sont apparues les plus pertinentes pour organiser toutes ces observations plastiques.
Il serait intéressant d'affiner les études pour voir si des patientes de type AB en phase restrictive auraient tendance à se rapprocher du type A et du type B en période boulimique.
Il me semble que non, et cela plaiderait pour une spécificité du pole AB en tout cas en matière de processus psychiques face à la création. Catégorie qui pourrait par certains aspects se rapprocher- j'insiste bien- en matière de création artistique, des troubles bi-polaires.
A
Corps anatomique
Monstres méchants aliens, dieux
descriptions, ironie violence
collage
Maitrise
copie
Oeuvre achevée
Œuvre exposée
Incluse dans le groupe et rivale
pour le leader ship
AB
Abstractions en matières
ironie
collage
Peinture gestuelle
matières
Œuvre achevée mais souvent non aboutie
Souvent emportée
incluse
B
La figure support d'histoire
énigmes
bouffons
Humour
ironie
collage
matières
Parfois inachevée
Parfois cachée
Hors du groupe
Pour conclure
Je voudrais évoquer de la prise en charge de ces patientes dans un atelier d'art-thérapie.
Le thérapeute en prenant en compte nos trois catégories A , AB et B, anorexiques restrictives, boulimiques sans perte de poids inquiétante, et patientes alternant les phases d'anorexie et de boulimie, le thérapeute donc aura la possibilité de moduler ses interventions :
Certaines réclamant un étayage poussé, d'autres un questionnement de leur maitrise et de leurs certitudes, ou une incitation à aller plus loin que la décharge pulsionnelle et motrice.
Enfin l'organisation de groupe devra prendre en compte ces différentes dynamiques pour favoriser une atmosphère propice à la création.
Je vous remercie.
Références bibliographiques
Vladimir Marinov : L'anorexie une étrange violence, Paris, PUF, 2008.
Erwin Panofsky : La perspective comme forme symbolique, Paris, Éditions de minuit, 1976.
Chris Kraus : Aliens and Anorexia, South Pasadena, Semiotext(e), 2000.